"Tout a commencé comme ça, par ce trou, ce vide, cette béance. J’ai étudié l’anatomie et l’analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé. J’ai étudié les os, la forme des articulations, les muscles et leurs actions. 

Mais à cet endroit-là, il n’y avait rien. 

J’investissais l’espace autour de moi, proche et lointain. Mais jamais il n’était question de cet espace intérieur, de cet « espace de tissus croisés et entrelacés qui constitue notre fond » (Cyrielle Lefebvre). Jamais il n’était question de danser le col de l’utérus, la distance entre le pubis et la face antérieure du sacrum ou l’influence des hormones sur la capacité contractile des tissus.

Parce que le diplôme d’État que j’avais passé pour enseigner la danse s’adressait autant aux femmes qu’aux hommes, nous ne parlions pas de ce qui fait le féminin. Pourtant nous allions rencontrer tant de filles et tant de femmes. Et il me devenait indispensable de pouvoir penser le corps dansant dans ses replis, ses profondeurs, ses fragilités et ses cycles.

Ma propre rencontre avec la maternité m’a définitivement ouvert les yeux sur ce manque, qui cache tantôt un refus de voir le corps de la ballerine se transformer, tantôt la peur du lâcher-prise et de l’abandon de soi. 

Je suis donc partie à la recherche de réponses, explorant la maïeutique à la lumière du mouvement dansé et inversement. 

Parce que le monde animal est en mouvement au moment de la mise bas, je voulais savoir si les danseuses, qui dansent chaque instant de leur existence, dansent aussi la naissance de leur enfant. Et si cela n’est pas le cas, je voulais savoir ce qui freine leur élan. J’avais besoin de comprendre comment le mouvement est pensé dans les salles de naissance, sa place, le regard qu’on lui portait hier et qu’on lui porte aujourd’hui.  

La péridurale était utilisée en 1981 en France dans 4 % des naissances. Elle se généralise à partir de 1994 lorsqu’elle est remboursée par la Sécurité sociale. Avant cela, il était question d’accouchement sans douleur ou de préparation psychoprophylactique à la naissance pour déjouer l’anticipation de l’arrivée de la douleur. Avec la péridurale, de nouvelles méthodes et de nouveaux protocoles voient le jour. 

Pendant des milliers d’années et encore aujourd’hui dans une grande partie du monde, les femmes accouchent debout, accroupies, appuyées, suspendues ou assises. L’émergence extrêmement rapide à l’échelle de l’humanité de ce remède qui permettait (enfin) aux femmes de ne plus souffrir a d’abord été perçu comme une solution miraculeuse. Mais la médaille a un revers. Coupées de leurs sensations, les femmes ont perdu une partie de leur instinct, de cet instinct qui met justement en mouvement. Et mon amour pour le mouvement m’amène à penser que les gestes, les postures, les chemins empruntés, les rotations articulaires et l’imaginaire né de la pratique de la danse, sont la voie pour faire se rejoindre les bénéfices de ces avancées médicales et le corps dans sa capacité d’agir.

Pauline Higgins, sage-femme spécialisée en anthropologie des systèmes de soin, m’accompagne au fil de ce qui se tisse et s’élabore. Elle entend mes questions et me conduit vers des réponses, me permettant d’articuler deux savoirs, le sien qui entoure la naissance, et celui qui m’est familier et qui fonde le monde de la danse. " 

PAULINE HIGGINS

Pauline étudie l’anthropologie sociale, anthropologie médicale et anthropologie des systèmes de représentation. Elle y apprend à observer les systèmes de soins, de guérissages et les manières dont les hommes et les femmes se représentent leurs corps. C’est en voyageant au Sénégal en 1995, impliquée dans un projet de construction d’une bibliothèque villageoise en Casamance, qu’est né son désir de devenir sage-femme. En 2003, Pauline est diplômée d’Etat de l’Ecole de Sages-femmes de Reims, (mémoire sur les mutilations sexuelles féminines), et en 2006 de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (mémoire sur le toucher et la tact chez les sages-femmes, une ignorance construite au nom d’une éthique de la relation). Depuis 2007, elle réalise plusieurs films documentaires. Elle se forme aux Ateliers Varan ainsi qu’a la Fémis. Elle suit ensuite un master art-science à SciencePo Paris et poursuit sa formation en techniques psychocorporelles, yoga, yoga prénatal, sophrologie, relaxation, Feldenkreis et Gyrotonic Method. Pauline a exercé dans les maternités des Diaconesses et de l’Hôpital Lariboisière. Elle a enseigné l’ethno-anthropologie appliquée aux sage-femmes de l’école Sage-femme de Baudelogue, en Belgique et au Sénégal.

 

INGRID BIZAGUET

Danseuse et chorégraphe, Ingrid Bizaguet est également professeure de danse contemporaine diplômée d'état et danse-thérapeute. Ses études universitaires de sociologie et d'anthropologie ont fait naître en elle un besoin fort de tisser du lien social par le rapport au corps et la pratique artistique. 

Avec sa compagnie, elle danse la pièce “Périnée Mon Amour” et crée de "petites conférences dansées" pour y proposer des lectures humoristiques et ludiques du corps. Passionnée par l’empowerment, elle construit ses projets chorégraphiques et pédagogiques dans un objectif de vulgarisation poétique des connaissances. Sa prochaine conférence gesticulée “De la liberté d’être en mouvement à la puissance d’agir” bénéficie d’une accueil studio au centre National de la Danse.

Formée à l’art-thérapie à l’université René Descartes, elle partage le mouvement avec un public large et dans de nombreuses structures : écoles de danse, universités, hôpitaux de jour, maternités, écoles...

En 2015, elle collabore avec le kinésithérapeute Erwann Lerumeur pour réaliser des vidéos d‘échographies en mouvement et voir ainsi l’effet réel du mouvement dansé sur le corps des femmes.

Maman de trois enfantes elle expérimente lors de ses propres maternités les gestes vertueux, bénéfiques à la grossesse et à l’enfantement.

Ensemble, elles accompagnent les femmes enceintes et jeunes accouchées au travers de la danse et proposent des formations (pour sages-femmes, soignants, danseurs, professionnels du mouvement) pour apporter du mouvement dans le monde du soin et du soin dans le monde du mouvement.

La recherche Danse&Maternité, soutenue par le Centre National de la Danse, interroge l’impact du mouvement dansé sur le corps de la femme enceinte, sur le foetus et sur la mise au monde. Elle permettra d’améliorer la grossesse et la naissance par la danse et de dresser les traits d’une pratique respectant la physiologie de la grossesse chez la danseuse et de préparer au mieux son retour à la pratique.